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Hachage et cryptage : les dessous invisibles de la sécurité numérique

Publié le 23 Juin 2025
Divers

La sécurité de nos données personnelles et professionnelles est devenue un enjeu majeur. Derrière chaque mot de passe (credentials, identifiant secret), chaque message chiffré ou chaque connexion sécurisée, se cachent des mécanismes puissants mais souvent méconnus : le hachage et le cryptage. Ces concepts sont au cœur de la cybersécurité moderne, et comprendre leur fonctionnement, leurs différences et leurs usages est indispensable pour tout acteur du numérique.

Ces mots que tout le monde entend sans toujours comprendre

Dans un monde ultra-connecté, où nos données circulent à la vitesse de la lumière, la question de leur sécurité est devenue centrale. En tant que développeur, on manipule forcément, à un moment ou un autre, des mécanismes de hachage ou de cryptage. Pour un utilisateur lambda, ces termes semblent familiers sans forcément pouvoir les expliquer. Pourtant, comprendre la différence entre les deux est essentiel pour saisir les enjeux de la sécurité numérique moderne.

Hachage et cryptage : définitions, origines et évolutions

Le hachage : l'empreinte numérique

Le hachage est une fonction mathématique qui transforme une donnée d'entrée (texte, mot de passe, fichier) en une chaîne de caractères fixe, généralement courte. Cette chaîne, qu'on appelle une « empreinte » ou un « hash », est censée être unique pour chaque donnée. L’idée est qu’un changement minime dans la donnée d’origine entraîne une empreinte radicalement différente. Cette propriété s'appelle l'effet avalanche.

Historiquement, les premières fonctions de hachage sont apparues dans les années 1950 dans les systèmes de gestion de fichiers. Ce n’est qu’à partir des années 1970-80 que l’on commence à voir apparaître des fonctions dédiées à la cryptographie, avec des standards comme MD4, MD5 ou SHA-1. Ces fonctions sont aujourd’hui jugées vulnérables et ont été progressivement remplacées par SHA-2, SHA-3, ou des solutions spécifiques comme bcrypt ou argon2 pour le hachage des mots de passe.

Ce qui rend le hachage si puissant, c’est sa propriété d’irréversibilité. Il est (en théorie) impossible de retrouver la donnée d’origine à partir de son hash. En outre, il est conçu pour être collision-resistant, c’est-à-dire que deux données différentes ne doivent jamais produire le même hash (même si en pratique, cela est déjà arrivé).

Le cryptage : la confidentialité avant tout

Le cryptage (chiffrement, encodage sécurisé, cryptographie) est un processus qui transforme une donnée lisible en une donnée illisible à moins de posséder une clé secrète. Contrairement au hachage, c’est une opération réversible. Si on a la clé, on peut retrouver la donnée originale.

Le chiffrement est utilisé depuis l’Antiquité : on pense au chiffre de César, au carré de Polybe, ou à la scytale utilisée par les Spartiates. Durant la Seconde Guerre mondiale, la cryptanalyse d’Enigma a marqué un tournant historique. Depuis, l’informatique a permis des systèmes cryptographiques infiniment plus puissants et plus complexes.

On distingue deux grandes familles de chiffrement :

Symétrique : une seule clé est utilisée pour chiffrer et déchiffrer (exemple : AES, DES).

Asymétrique : une clé publique chiffre, une clé privée déchiffre (exemple : RSA, Elliptic Curve Cryptography).

Le chiffrement est essentiel dès qu’il est question de confidentialité : navigation web (HTTPS), messagerie sécurisée, signatures numériques, certificats SSL/TLS, blockchain, etc…

Une différence fondamentale

Le hachage est utilisé pour vérifier une information (intégrité, authentification, indexation), tandis que le cryptage sert à protéger une information (confidentialité). Le premier est irréversible, le second réversible. Le hachage transforme une donnée en une empreinte ; le cryptage transforme une donnée en un message codé lisible uniquement par le bon destinataire.

Confondre les deux peut conduire à des erreurs de conception graves. Par exemple, il est incorrect de chiffrer un mot de passe stocké : on doit le hacher. Il serait absurde de hacher un document confidentiel qu’on souhaite retrouver intact plus tard : on doit le chiffrer.

Technologies actuelles de hachage et de cryptage

Du côté du hachage, plusieurs standards coexistent, chacun adapté à des usages spécifiques. Le hachage générique pour l'intégrité des fichiers ou des messages repose encore largement sur les algorithmes de la famille SHA (Secure Hash Algorithm). SHA-2, et notamment SHA-256, reste la référence pour les empreintes numériques robustes. Le SHA-3, conçu à partir de l'algorithme Keccak, se distingue par une architecture interne radicalement différente de SHA-2, offrant une meilleure résilience face à certaines attaques cryptographiques avancées. Il tend progressivement à s’imposer comme une alternative moderne plus sûre.

Pour le hachage des mots de passe, les fonctions adaptatives sont devenues la norme :

bcrypt : historiquement l'une des premières fonctions résistantes aux attaques par force brute, avec un facteur de coût ajustable.

scrypt : ajoute une dimension de consommation mémoire pour limiter les attaques sur GPU.

argon2 : reconnu comme le vainqueur du Password Hashing Competition, il propose plusieurs variantes (Argon2i, Argon2d, Argon2id) et s'impose aujourd’hui comme la référence en matière de sécurité pour le hachage des mots de passe.

En matière de chiffrement, AES (Advanced Encryption Standard) domine. Il est extrêmement performant et intégré matériellement dans la plupart des processeurs modernes. AES peut fonctionner en plusieurs modes (ECB, CBC, GCM…), chacun avec ses avantages et inconvénients. Le mode GCM, combinant chiffrement et authentification, est privilégié dans TLS 1.3.

Pour le chiffrement asymétrique :

RSA : est encore très utilisé, notamment pour l’échange de clés ou les signatures. Il repose sur la difficulté de la factorisation des grands entiers.

ECC (Elliptic Curve Cryptography) : gagne du terrain pour des raisons de performance et de sécurité équivalente avec des tailles de clé plus petites. Les courbes comme secp256r1 ou Curve25519 sont parmi les plus courantes.

Enfin, les protocoles comme TLS 1.3, SSH, OpenPGP, ou Signal Protocol intègrent ces primitives de manière standardisée, en les combinant parfois dans des schémas hybrides.

Vers le futur : cryptographie post-quantique

La cryptographie post-quantique (PQC pour Post-Quantum Cryptography) est l'ensemble des algorithmes conçus pour résister aux attaques d'un ordinateur quantique. Contrairement aux machines actuelles, un ordinateur quantique peut casser en quelques minutes ce qu’un ordinateur classique mettrait des millénaires à déchiffrer. Les algorithmes RSA, DSA, DH, et ECC reposent sur des problèmes mathématiques vulnérables à l’algorithme de Shor.

Pour anticiper cette menace, le NIST (National Institute of Standards and Technology) a lancé en 2016 un processus de sélection d’algorithmes post-quantiques. En 2022, une première vague de finalistes a été annoncée :

Kyber (chiffrement à clé publique) : rapide, efficace, basé sur les réseaux euclidiens (Lattice-based cryptography).

Dilithium et Falcon (signatures numériques) : offrent un bon compromis entre sécurité, taille de clé, et performance.

Ces algorithmes ne reposent pas sur les mêmes principes que RSA ou ECC. Ils s’appuient sur des problèmes mathématiques réputés résistants aux ordinateurs quantiques, comme le problème du syndrome ou celui de l’échantillonnage dans un réseau.

L’un des défis de la transition vers la cryptographie post-quantique est qu’elle impacte à la fois les protocoles, les performances, et la taille des messages échangés. Par exemple, une clé Kyber est plus volumineuse qu’une clé RSA classique. Il faut aussi prévoir une transition progressive, avec des systèmes hybrides combinant anciens et nouveaux algorithmes.

Les entreprises qui souhaitent anticiper peuvent dès aujourd’hui utiliser des bibliothèques comme Open Quantum Safe, ou intégrer des solutions hybrides proposées par des géants du cloud comme Google ou Cloudflare. Certaines versions expérimentales de TLS avec Kyber existent déjà.

Il ne s’agit pas d’un risque hypothétique, mais d’une certitude temporelle. Le moment où un ordinateur quantique dépassera nos capacités de chiffrement classiques n’est plus une question de « si », mais de « quand ».

Dès aujourd’hui, il est recommandé d’adopter une posture proactive en suivant les travaux du NIST et les recommandations de l’ANSSI, en choisissant des bibliothèques qui anticipent cette transition et en utilisant des schémas hybrides pour commencer à intégrer les briques post-quantiques sans abandonner la compatibilité.

C’est une opportunité historique pour repenser les fondations de la cybersécurité moderne. La menace des ordinateurs quantiques sur la cryptographie classique n’est plus de la science-fiction. Un ordinateur quantique suffisamment puissant pourrait, via l’algorithme de Shor, casser RSA ou ECC en quelques minutes, là où il faudrait aujourd’hui des millions d’années avec un supercalculateur classique.

Pour anticiper cela, des institutions comme le NIST travaillent à standardiser des algorithmes post-quantiques. Parmi eux, Kyber qui est un chiffrement basé sur les réseaux euclidiens et Dilithium ou Falcon qui ont des signatures numériques robustes face aux attaques quantiques.

Les développeurs devront apprendre à utiliser ces nouveaux outils, dont la complexité est souvent supérieure. De nombreux langages commencent déjà à intégrer des bibliothèques expérimentales.

Cela nécessitera aussi de repenser l’architecture des systèmes. Le chiffrement post-quantique implique souvent des clés plus grandes, des temps de traitement plus longs, et une consommation mémoire accrue. Les systèmes embarqués, IoT ou mobiles devront adapter leurs contraintes.

Conclusion : comprendre pour mieux coder (et mieux protéger)

Le hachage et le cryptage sont les fondations invisibles de la sécurité numérique. Ils ne sont pas interchangeables, ne sont pas magiques, mais sont essentiels. Apprendre à bien les utiliser, c’est écrire du code plus sûr, concevoir des systèmes plus robustes et surtout respecter la vie privée numérique.

Connaître les bons outils c’est bien. Encore faut-il savoir quand et comment les utiliser. Trop de systèmes aujourd’hui souffrent d’un mauvais choix technologique : un mot de passe chiffré au lieu d’être haché, un fichier sensible stocké sans salage, une clé symétrique exposée dans le code source. Comprendre les principes, c’est éviter les erreurs de conception, les failles critiques et les cauchemars juridiques.

À l’heure où la souveraineté numérique devient un enjeu stratégique, où les cyberattaques se multiplient, et où l’informatique quantique pointe à l’horizon, les professionnels du numérique ont une responsabilité croissante : celle d’anticiper, de se former et de protéger.

Qu’on soit développeur, architecte, product owner ou simple utilisateur soucieux de sa vie privée, se former à ces notions est un investissement rentable. La sécurité n’est pas un luxe ni une option. C’est une exigence de base pour bâtir un numérique digne de confiance.